Rencontre

Marseille, laboratoire d’une ville durable

« Ville de tous les possibles », Marseille est un laboratoire à ciel ouvert. Ensemble, scientifiques et citoyens y définissent et mettent en oeuvre des programmes de recherche pour imposer la ville durable de demain.


BIO EXPRESS

Ingénieur en chef des ponts, des eaux et des forêts, YVES LE TRIONNAIRE est diplômé de l’École nationale des Travaux Publics et de l’État. Expert du secteur de l’environnement, il est nommé, en 2019, directeur régional de l’ADEME en Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Docteur en droit public, universitaire, avocat en droit de l’Environnement, militant, SÉBASTIEN BARLES est actuellement adjoint au maire de Marseille en charge de la transition écologique, de la lutte et de l’adaptation au bouleversement climatique.

Les savoirs issus de la recherche nourrissent-ils l’action publique et territoriale de la ville de Marseille ?
Sébastien Barles

Quand nous avons gagné la mairie de Marseille en 2020, nous avons tenu à mettre en oeuvre plusieurs actions autour de la transition écologique. Dans cette perspective, nous avons recruté en interne ; par ailleurs, comme nous ne disposions ni de données ni d’études prospectives, nous avons mis en place un conseil scientifique qui comprend notamment le Groupe régional d’experts sur le climat (GREC historique) sur lequel nous nous appuyons pour élaborer une feuille de route cohérente. Nous avons enfin étoffé notre équipe en recrutant un data manager qui travaille sur l’ensemble des données environnementales du territoire. Donc oui, les savoirs issus de la recherche nourrissent significativement nos actions. Nous ne comptons d’ailleurs pas en rester là : nous souhaitons intégrer un postdoctorant qui expérimentera et évaluera les dispositifs que nous mettons en place avec nos partenaires, notamment en matière de rénovation. En fonction de cette évaluation, nous établirons la pertinence d’essaimer ou non les programmes que nous expérimentons actuellement.

Yves Le Trionnaire

À Marseille comme sur l’ensemble des territoires, la recherche aide à identifier les blocages et les controverses locales puis à les dénouer ; elle apporte un éclairage rationnel autour de ces enjeux. Dans cette perspective, l’ADEME mobilise des équipes qui associent des chercheurs et des acteurs publics locaux autour d’un objectif solide : se mobiliser à cette échelle locale et mettre la connaissance scientifique à disposition des acteurs locaux. Nous sommes convaincus que, grâce à la concertation et aux échanges, nous accélérons ensemble la mise en oeuvre de la transition écologique.

Nous accordons la même attention aux attentes citoyennes qu’aux exigences de notre conseil scientifique.

Sébastien Barles, adjoint au maire de Marseille en charge de la transition écologique, de la lutte et de l’adaptation au bouleversement climatique.

Marseille est engagée dans plusieurs programmes de recherche qui visent à mettre en oeuvre une « ville durable » : pourquoi et comment vous êtes-vous lancés dans ces initiatives ?
SB

Quand nous avons eu connaissance du programme européen « Les 100 villes climatiquement neutres et intelligentes pour 2030 », nous avons d’emblée pensé que ce projet constituerait un levier formidable pour mobiliser la sphère scientifique et écologique locale autour de cet enjeu. Et cela a fonctionné : nous avons réuni des acteurs diversifiés (des grandes entreprises, des PME, des associations, des laboratoires de recherche, des collectifs citoyens, etc.) pour construire avec nous une feuille de route fédératrice et concluante. Je pense d’ailleurs que l’originalité principale de notre projet réside dans sa capacité à mobiliser une sphère très large, mais aussi à proposer une solution qui ne repose pas sur du technosolutionnisme (à cela, nous préférons largement la sobriété). Nous avons su embarquer de nombreux acteurs autour d’une transition solidaire et populaire sur les deux rives méditerranéennes, et cette réussite est une vraie fierté pour la ville !

Comment la stratégie de recherche de l’ADEME s’articule-t-elle avec les actions de terrain ?
YLT

L’ADEME en PACA a notamment pour ambition de mettre la science à disposition des décideurs locaux. Pour ce faire, nous travaillons avec un consortium composé de l’association Air Climat et des bureaux d’études Actierra et GeographR ; ensemble, nous faisons émerger des projets de recherche coconstruits avec les territoires et qui répondent à leurs enjeux prioritaires en matière de transition écologique.

L’intention de l’ADEME est de mettre la connaissance scientifique à la disposition des décideurs locaux. 

Yves Le Trionnaire, directeur régional de l’ADEME en Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Quel est le rôle de la Direction régionale de l’ADEME dans l’identification et l’accompagnement de ces projets science-société ?
YLT

Nous assurons l’animation régionale et donnons au consortium les moyens de faire le lien avec le territoire. À titre d’exemple, nous avons récemment participé à la mise en oeuvre du projet PAT-ACV, qui vise à quantifier, dans les Alpes-Maritimes, les impacts environnementaux des Projets Alimentaires Territoriaux en cours ou à venir ; nous avons également travaillé sur le projet EVALVIE qui permet aux décideurs de mieux connaître les vulnérabilités de trois communes, dont Marseille. Dans nos travaux, nous introduisons des approches sociologiques afin de prendre en compte la perception et les pratiques des populations concernées et de favoriser leur implication dans ces démarches.

Comment faites-vous pour que les Marseillais s’approprient et mettent en oeuvre la transition écologique ?
SB

La question de l’engagement citoyen est pour nous essentielle. Donc, pour permettre aux Marseillais d’imaginer la transformation de leur territoire autour d’une transition écologique au long cours, la ville a créé l’Assemblée citoyenne du futur. Cet espace de réflexion réunit 111 citoyens tirés au sort après avoir manifesté leur intérêt pour ce projet ; ces Marseillais s’appuient sur un pôle d’experts scientifiques avec lesquels ils font émerger des recommandations qui sont présentées au conseil municipal afin de répondre aux enjeux de la ville de demain.

Cette assemblée s’est réunie pour la première fois il y a quelques mois ; elle nous a soumis des propositions, dont certaines seront simples à mettre en oeuvre (je pense notamment à la formation des élus et des agents de la ville aux enjeux du climat et du vivant) et d’autres plus complexes à concrétiser (comme la limitation de l’artificialisation des sols qui nous amènera à réviser notre PLUi). Un comité de suivi qui comprend des scientifiques veillera à la mise en oeuvre de ces préconisations. On voit donc bien ici que la feuille de route de la ville de Marseille prend pleinement en compte autant les attentes citoyennes que les exigences du conseil scientifique.

La ville de Marseille a également créé une Cité des transitions. De quoi s’agit-il ?
SB

La Cité des transitions est une structure implantée dans la Friche de la Belle de Mai qui rassemble environ 150 acteurs de la transition de notre territoire. Elle est tout à la fois un lieu d’accueil et un open lab, et cette hybridation est favorable à la recherche-action. Les acteurs présents ici travaillent sur des sujets de recherche en lien avec la transition ; ils organisent également des expositions de vulgarisation des savoirs à l’attention des citoyens.

Entre autres sujets, la Cité des transitions travaille sur le développement de l’industrie low-tech et notamment sur plusieurs projets locaux de rénovation. L’approche est transversale et questionne entre autres les enjeux de l’approvisionnement en matériaux, la mutualisation des besoins sur le territoire, la création de nouvelles manufactures low-tech ou l’expérimentation de nouveaux modèles économiques qui encouragent la coopération entre les acteurs. L’ADEME soutient des projets que nous menons ici.

Marseille est donc une ville-laboratoire, une ville d’innovations de nouveaux modèles économiques et industriels. Elle est la ville des possibles où nous expérimentons, à l’échelle d’un territoire, des solutions inédites et capables de répondre aux enjeux de la transition écologique.

L’ADEME soutient plusieurs des projets de recherche menés dans la Friche de la Belle de Mai, pourquoi l’Agence est-elle présente ici ?
YLT

Nous accompagnons effectivement ces projets locaux qui fédèrent de nombreux acteurs, notamment des citoyens. L’ADEME est convaincue que, pour réussir la transition écologique, nous avons besoin de l’implication de tous. Or, si nous savons engager de grands acteurs industriels sur des projets techniques d’envergure, il nous est difficile d’amener les citoyens à s’emparer des programmes. Le soutien à ces projets solidement ancrés dans les territoires constitue donc un axe essentiel de notre travail. Il est probablement moins visible que nos grands programmes, mais tout aussi nécessaire pour réussir la transition écologique.